Après ce parcours à travers les nombreuses éditions des Maigret, que pouvons-nous constater à propos des choix d’illustration des couvertures ? Tout d’abord une grande diversité, et une certaine originalité pour plusieurs illustrateurs. De manière générale, les éditions ne retiennent pas toujours les mêmes critères pour illustrer un roman donné, mais cependant des constantes se dégagent:
* plus un titre contient un mot concret, dont le sens de base est généraliste et accessible, plus ce titre a des chances d’être illustré par une image représentant ce mot; par conséquent, si le titre contient un substantif, il sera plus facilement imagé par ce substantif que s’il contient un verbe, dont le sens, par définition, est un concept moins “imageable”: sans même connaître la trame du roman, il est plus facile d’imager, par exemple, La Danseuse du Gai-Moulin que Maigret se trompe
* de plus, certains substantifs sont plus faciles à représenter: ainsi, ceux qui désignent un objet (voir Le Revolver de Maigret, La Pipe de Maigret), un personnage (voir Maigret et l’homme du banc, Maigret et la vieille dame, Maigret et le clochard), ou encore un lieu (voir Maigret à New York, Maigret à Vichy) qu’on peut facilement évoquer sans même connaître l’intrigue du roman, sont plus faciles à illustrer que ceux qui désignent un sentiment (voir Maigret a peur, La Colère de Maigret) ou un concept (La Première Enquête de Maigret, Signé Picpus); dans le second cas, il faut obligatoirement se référer à l’intrigue si on veut en faire une illustration appropriée
* on remarque aussi que, plus on avance dans la saga, plus les titres choisis par Simenon évoquent des notions et des concepts difficiles à illustrer: alors que les Maigret de la période Fayard et de la période Gallimard portaient en général des titres se référant à un personnage ou à un lieu, les Maigret de la période Presses de la Cité ont une tendance toujours plus marquée à porter un titre évoquant une notion plus ou moins abstraite, ou en tout cas difficile à mettre en image (voir Les Scrupules de Maigret, Maigret hésite, Maigret se défend, etc.); ceci est aussi lié au fait que plus on avance dans la saga, plus les Maigret tendent à se rapprocher des “romans durs”, à évoquer des thèmes aussi complexes (responsabilité de l’Homme, justice), et le personnage du commissaire lui-même devient moins “monolithique” et moins sûr de lui, se posant toujours plus de questions par rapport à son métier et à la vie. Par conséquent, on aura de moins en moins, d’illustrations dont le thème est en rapport direct, non seulement avec le titre, mais avec le contenu de l’intrigue elle-même
* lorsqu’un illustrateur ne se contente pas de représenter littéralement les mots d’un titre, il va puiser dans sa connaissance de l’intrigue un autre élément à illustrer, et ses critères de choix sont de plusieurs ordres: imager une scène du roman, illustrer un décor, montrer un objet qui fait référence à un élément de l’intrigue (personnage, lieu, indice), ou présenter un personnage qui n’est pas mentionné dans le titre mais qui joue un rôle important dans l’histoire.
Ainsi se termine notre parcours à travers la saga maigretienne. Nous avons tenté, modestement, de mettre en lien des images et des mots, des dessins et du sens. Et si cette petite étude vous a donné envie de vous replonger dans les textes, nous aurons atteint notre but…