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Simenon a connu le succès avec les premiers romans “Maigret” signés de son véritable nom. Cela explique, en partie du moins, pourquoi il a toujours tenu à privilégier la version “officielle” de la naissance de son personnage, selon laquelle Maigret serait né, quasi ex nihilo, dans une vieille barge abandonnée du port hollandais de Delfzijl. On pourra lire le récit de cette naissance, tel que Simenon l’a raconté dans l’avant-propos des Oeuvres complètes parues aux éditions Rencontre en 1966.

En réalité, comme l’ont montré Menguy et Deligny dans leur recherche, le personnage de Maigret est apparu avant Pietr le Letton, dans quatre romans écrits par Simenon sous pseudonymes, et qu’on appelle les “proto-Maigret”.

Dans le premier de ces quatre romans, Train de nuit, écrit en 1929 et paru en 1930 sous le pseudonyme de Christian Brulls, Maigret n’apparaît que dans les trois derniers chapitres (sur les vingt du roman): c’est un policier en fonction à Marseille, il a déjà sous ses ordres l’inspecteur Torrence, mais sa silhouette reste floue: on ne reconnaît de lui que la force de son calme et son humanité empathique.

En 1929, Simenon écrit un deuxième roman où apparaît le personnage de Maigret, qui sera édité, toujours sous le pseudonyme de Christian Brulls, seulement en 1932, après le début de la parution des premiers Maigret “officiels”, sous le titre de La Figurante, titre qui ne plaisait pas à Simenon, qui lui-même avait baptisé son roman La Jeune Fille aux perles. Maigret est ici en fonction à Paris, sa silhouette se précise: il a de larges épaules, un visage épais, et il mange des sandwichs…

Toujours en 1929, Simenon écrit un troisième roman avec le personnage de Maigret, titré La Femme rousse. Le commissaire n’en est toujours pas le héros principal, mais il “intervient de façon tardive à la fin de la première partie, puis par des apparitions espacées et elliptiques. […] bourru, bougon […] Maigret impressionne ses interlocuteurs par sa puissance tranquille.” (Lacassin, in Simenon et la vraie naissance de Maigret) Le roman ne paraîtra qu’en avril 1933, sous le pseudonyme de Georges Sim.

Le quatrième des proto-Maigret, écrit lui aussi en 1929, s’intitule La Maison de l’inquiétude. Il sera édité en février 1932, sous le pseudonyme de Georges Sim, après avoir été publié d’abord en feuilleton dans le quotidien L’Oeuvre, en mars-avril 1930. “Ayant profité des essais successifs [des autres proto-Maigret], La Maison de l’inquiétude est un roman policier. […] A la différence des tentatives précédentes, l’histoire n’est pas racontée du point de vue de l’un des personnages éphémères, coupable ou victime. Elle n’est plus le roman d’une infortune mais le roman d’un policier. Maigret prend possession de la scène dès les premières lignes, et jusqu’aux dernières.” (Lacassin, op.cit.). Le décor familier de Maigret est déjà planté: son bureau au Quai des Orfèvres, son domicile boulevard Richard-Lenoir; le commissaire porte son pardessus à col de velours, il fume des pipes et “traîne” dans les cafés devant une fine à l’eau, quand il ne rend pas visite aux concierges… Quant à sa personnalité, elle “se ressemble” déjà, si l’on peut dire: “raccommodeur de destinées”, il cherche “la vérité des personnages… En épousant, à force de compassion, leurs destinées, il tente de comprendre ce qui les a fait dévier ” (Lacassin, ibid.)