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Monsieur Gallet, décédé: un cadavre, une clé, un mur et un couteau

Les deux premiers romans de la période Fayard sortent simultanément, en février 1931, lancés en grande pompe lors du fameux bal de la Boule blanche. Pour Monsieur Gallet, décédé, on a choisi de représenter un cadavre étendu sur le sol, ou plus exactement les vêtements du mort, posés sur le contour du corps dessiné à la craie. C’est l’illustration du début du chapitre 5 du roman, où l’auteur décrit ainsi le travail du commissaire: “Le plancher, en chêne, était verni, et les premiers enquêteurs avaient dessiné à la craie les contours du corps tel qu’ils l’avaient trouvé. […] Posément, en tirant de petites bouffées de sa pipe, il étendait sur le sol, à la place où s’étaient trouvées les jambes du cadavre, un pantalon de drap noir […]. Maigret étala de même une chemise en percale et, à sa place normale, un plastron empesé. Mais l’ensemble n’eut pas de forme, ne devint à la fois saugrenu et émouvant que quand, au bout des jambes du pantalon, il posa une paire de chaussures à élastiques.”

Cette illustration de “parodie de cadavre” va se retrouver telle quelle dans quatre traductions; on y reprendra même le graphisme du titre.

Le motif du cadavre étendu sur le sol va être réutilisé dans plusieurs parutions postérieures, qu’elles soient fortement inspirées de la photo originale, ou qu’elles s’en rapprochent.

Une autre façon d’aborder l’illustration de ce roman est de focaliser sur le personnage de la victime; c’est ce que proposent une édition suédoise, qui met en scène le suicide de Gallet; une édition espagnole, qui met au premier plan le visage de Gallet, non sans rappeler d’autres éléments, comme le revolver et le cadavre de l’édition originale; et une édition serbe, qui montre le visage d’un homme dont l’aspect doit rappeler celui de Gallet, tel qu’il est décrit au début du roman: “une photographie plus petite représentant un homme aux cheveux drus, à la barbiche poivre et sel […]. L’ovale de son visage était […] allongé, les lèvres qui coupaient presque la figure en deux et qui étaient d’une minceur anormale.”

D’autres illustrateurs ont choisi des pistes différentes; par exemple, mettre en scène un autre personnage: M. Jacob pour une édition allemande, ou un pêcheur pour une édition danoise (“Sur un de ces îlets, un personnage en complet de nankin pêchait à la ligne”: une des premières images que découvre Maigret à son arrivée à Sancerre); ou choisir des objets significatifs de l’intrigue, comme autant d’indices: le couteau avec lequel Gallet s’est frappé, la clé de la grille du chemin des orties, ou les lettres de chantage. L’édition finlandaise montre un arbre dont les branches sont entourées de ficelle, rappelant la mise en scène préparée par Gallet. On pourra noter que plus l’illustration présente d’éléments précis, plus on peut imaginer que l’illustrateur, ou celui qui l’a mandaté pour ce travail, a des connaissances sur le roman: on ne peut en effet utiliser ces indices que si l’on connaît leur présence dans le texte.

Une autre façon encore d’aborder l’illustration de la couverture du roman est de “planter un décor”: autrement dit, on présentera un des lieux où se déroule l’intrigue, avec une vue plus ou moins rapprochée, en plus ou moins gros plan. Ainsi, une édition néerlandaise et une japonaise présentent une ville qui pourrait être Sancerre, une édition anglaise montre la photo d’un pont, évoquant le “pont suspendu qui enjambe la Loire” que Maigret traverse à son arrivée. Tandis que trois éditions françaises, une italienne et une hongroise montrent une grille, qui doit évoquer la grille du château de Saint-Hilaire. L’édition française de 1944 et l’édition italienne Adelphi présentent le motif de la fête foraine. Enfin, l’édition norvégienne, dont l’illustrateur (ou son commanditaire…) fait preuve d’une connaissance affûtée de l’intrigue des Maigret, comme on le verra tout au long de cette étude, nous montre Maigret à l’œuvre devant le mur du chemin des orties.

Le Pendu de Saint-Pholien: une cloche, une valise, un complet taché de sang

Pour ce roman, le choix de l’image de couverture semble aller de soi: il suffit d’illustrer les mots du titre. L’édition originale nous montre donc un cadavre pendu à la gouttière d’une église (alors que le texte du roman précise que le “petit Klein” a été retrouvé pendu au marteau de la porte…). La photographie en est si bien faite qu’elle va resservir telle quelle pour quatre éditions en d’autres langues.

Cette mise en scène va être reprise dans plusieurs autres éditions, sous forme de dessin, ou sous forme photographique.

Une autre façon d’illustrer est de choisir un des deux termes du titre, et on montrera soit un pendu, soit une église.

On trouve aussi des couvertures où sont représentées, selon le mode de la synecdoque, la cloche pour l’église, ou la corde pour le pendu. Une édition espagnole reprend le thème de la corde, et y lie habilement une scène du roman, celle où Van Damme tente de précipiter Maigret à l’eau.

Certains illustrateurs ont privilégié d’autres éléments de l’intrigue: par exemple, la valise qui contient le complet, ou ce complet lui-même. L’édition portugaise présente la valise, avec une ville en arrière-fond. D’autres illustrations montrent les billets de banque brûlés par Jeunet.

De la valise, on passe à celui qui la transporte: certaines illustrations nous montre le voyageur, et parfois son suiveur, c’est-à-dire Maigret.

Un autre choix consiste à illustrer une scène du roman: on trouve ainsi une vue sur Jeunet dans sa chambre de Brême, la même chambre où pénètre Maigret après le suicide du jeune homme, ou l’atelier des Compagnons de l’Apocalypse.

L’intrigue du roman débute dans une gare, lieu hautement maigretien. Certaines couvertures vont donc reprendre le thème ferroviaire pour leur illustration: gare, rails, train.